Nous nous sommes procuré le dossier d’enregistrement d’une entreprise de pyrotechnie qui entretien ce quelle appelle un « dépôt relais lui permettant de stocker temporairement le feu avant le spectacle ». Ce dépôt est inscrit à la rubrique 4220 de la nomenclature des installations classées, pour moins de 500 Kg équivalents de matière active (c'est-à-dire 1500 Kg de division de risque 1.3a…). (Nous passons sur les acrobaties –légales – pour bénéficier des quantités équivalentes).
La règle, fixée par l’arrêté du 29 juillet 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à enregistrement sous la rubrique n° 4220, est de maintenir les zones de danger 1 et 2 à l’intérieur des limites de l’installation.
Le pétitionnaire place le plan suivant dans son dossier, en expliquant que la charge de matière active est découpée en quatre charges (490 Kg, 490 Kg, 200Kg et 310 Kg) stockées dans des alvéoles séparées constituées de murs forts permettant de déclasser les zones d’effets thermique comme indiqué dans le guide des bonnes pratiques en pyrotechnie. Dès lors Z1 devient Z3 et Z2 devient Z4.
Admettons. Nous avons fait nos propres calculs sur la base des données du pétitionnaire, en reprenant le cheminement qui à conduit au résultat de façon didactique.
Le calcul des zones de danger réalisé pour le timbrage maximal de l’installation, 1490 Kg, détermine des zones de dangers 1 et 2 qui sortent largement des limites de l’installation. Cette situation n’est pas admissible.

Le découpage en quatre alvéoles séparées détermine toujours des zones de dangers qui sortent de l’installation. (En l’absence d’indication sur le timbrage individuel des alvéoles, nous avons considéré, pour chacune d’elles le timbrage maximum de 490 Kg)
Considérons les murs forts.
« Murs : 4 alvéoles indépendantes séparées par un mur de béton armé de type pré coffré de 18 cm d’épaisseur de hauteur 4,50 m, Dalle à 4 mètres de hauteur ».
Il n’existe pas à notre connaissance de définition du mur fort, sinon, qu’il est conçu pour éviter la transmission quasi instantanée de l’explosion d’une charge à une charge voisine et qu’il doit avoir une hauteur dépassant de deux mètres le haut de la charge pour être efficace.
Le dossier indique « Pour les produits non déflagrants, cas de la division de risque 1.3, un mur en béton est une protection suffisante par ailleurs fréquemment utilisée dans la construction de dépôts sur des sites pyrotechniques nettement plus conséquents ».
Cette formule de rhétorique ne répond pas à la question sur la définition du mur fort. Bien au contraire, elle sous entends que le mur est conforme (à quoi ?) sans en apporter de preuve. La question reste posée.
« Couverture : dalle en béton armé (classe Broof t3) + dalle de compression de 18 cm d’épaisseur comportant 2 ouvertures de 1 m² chacune permettant l’évacuation éventuelle du souffle ».
Broof T3 signifie que le temps de passage du feu au travers de la toiture est supérieur à 30 minutes… Cette toiture comportant deux ouvertures ne répondant pas à l’exigence du § 2.3.2 de l’arrêté du 29 juillet 2010 sur la résistance au feu, on se demande à quoi ca sert sinon apporter l’apparence de la plus grande rigueur.
En admettant que le mur puisse effectivement résister à l’explosion d’une charge de 490 Kg de division de risque 1.3 (produit déflagrant au sens de l’arrêté du 20 avril 2007), en admettant qu’aucun marron d’air ne se trouve dans le chargement (tous les marrons d’air sont des articles détonnant classés en DR 1.1 par l’ADR auquel cas tout le chargement de l’igloo est 1.1), en admettant … etc…, on peut étudier l’hypothèse du mur fort. En ce cas le tracé est le suivant :
Cette situation peut paraître acceptable. Elle ne l’est pas.
Comme presque toujours dans tous les dossiers que nous avons pu étudier, l’hypothèse de mur fort issue du guide des bonnes pratiques en pyrotechnie est étudiée sans son corollaire issu lui aussi du guide des bonnes pratiques : la surface de décharge.
Le dossier indique bien que les deux ouvertures du toit sont les surfaces de décharges, mais la porte des alvéoles n’est pas une porte forte. En outre, la probabilité d’un accident est à son maximum lors des opérations de chargement ou déchargement, c'est-à-dire lorsque les portes sont ouvertes. En ce cas la décharge se fera par la porte.
Le guide des bonnes pratiques indique que, pour les faibles densités de chargement d’une alvéole, il n’est pas réaliste d’amplifier les zones d’effets dans le sens de la décharge. Mais même sans les amplifier, ces zones existent et il convient de les tracer.
Cette situation peut maintenant paraître acceptable. Elle ne l’est toujours pas.
Un plan joint à la description des plans de secours, daté de 2013 soit trois ans après le dépôt du dossier, fait apparaître deux conteneurs dédiés au stockage de matériel inerte. Une rapide consultation de Google Earth confirme la présence de ces conteneurs.
Ces conteneurs se trouvent en zone 1 des installations de stockage, ce qui est interdit par l’article 16 de l’arrêté du 20 avril 2007, alors que le dossier, tel qu’il est écrit, les place en zone 3, ce qui est autorisé. CQFD.
Ce n’est pas tout.
Comme presque toujours dans les dossiers que nous avons pu étudier, il manque un élément essentiel : l’approvisionnement du dépôt.
Dans son préambule, le dossier précise que « le dépôt n’aura pas vocation à être activé toute l’année au maximum de ses capacités », ce qui signifie que le dépôt est vide (Accessoirement un dépôt vide n’est pas une réalité économique). Le dossier précise également que « les approvisionnements ne sont réalisés que dans la mesure où le timbrage maximum du dépôt le permet ».
Ces formules évasives donnent lieu à toutes les interprétations et en ce cas, en l’absence de données chiffrées, il convient de considérer le cas le plus pénalisant du déchargement d’un véhicule approvisionnement le dépôt dans sa totalité (de « vide » à « plein »). L’ADR cessant de s’appliquer dès que les portes du véhicule sont ouvertes et les parois du véhicule n’étant pas des murs forts, on arrive au tracé suivant :
Cette situation n’est pas admissible. Pour rester dans les limites admissibles, le chargement ne devrait pas dépasser 150 Kg environ selon nos estimations, ce qui n’est pas concevable d’un point de vue logistique.
Dès lors, il apparaît que la présentation de l’installation est orientée de façon à rassurer, avec l’apparence de la plus grande rigueur, l’administration sur le respect des règles de sécurité pour l’environnement et les travailleurs. Le rédacteur s’emploie à inciter l’administration à agréer le dossier, en occultant la réalité et le danger réel présenté par l’installation.
L’apparence de la plus grande rigueur se démontre à la lecture des perles se trouvant dans le dossier. Citons-en quelques-unes en vrac :
- Le document est présenté comme une « étude de sécurité du travail » répondant aux exigences du décret n° 79-846 (abrogé). Cependant le contenu du dossier ne répond pas à l’article 3 du décret (mesures générales de sécurité)
- « Serrure 3 points ». Les blocs-portes antieffraction doivent disposer d’une certification A2P classe BP 3.
- « Les feux les plus conséquents sont livrés directement depuis l’usine sur les chantiers de montage par des transports spécifiques », ce qui n’est pas possible économiquement et physiquement.
- « Contrôles d’usage ». Lesquels, conduite à tenir ?
- « Pour les produits non déflagrants, cas de la division de risque 1.3 ». C’est donc de l’explosif qui n’explose pas.
- « Les zones Z1 et Z2 et Z3 seront clôturées ». La zone 3 est sur la route.
- « Le mode de construction du bâtiment est conforme ». A l’exception, au moins, des ouvertures du toit.
- « Procédure de chargement déchargement ». Le destinataire doit respecter le chapitre 1.4 de l’ADR.
- « Les artifices de divertissement ne sont pas des produits sensibles en matière de sûreté car ils ne sont pas ou peu exploitables pour commettre des actes de terrorisme et peu exploitables sur le marché des ventes illicites ». Voir l’actualité récente (Bataclan et consorts) pour la sureté et les camions polonais pour le marché underground.
- « Dans un souci de rigueur ». Sans commentaire.
Depuis plusieurs années, nous dénonçons les dossiers de ce genre et la lecture superficielle qui en est faite par l’administration, à l’inverse des dossiers d’autorisation qui sont observés et relus avec attention par l’inspection des installations classées. Sans parler des dossiers SEVESO, qui sont examinés à la loupe.
L’administration dispose d’inspecteurs compétents dans le domaine de la pyrotechnie. Nous en connaissons.
Nous proposons qu’ils soient réunis dans un pool technique chargé d’étudier, dans le détail, les dossiers de déclaration et d’enregistrement afin de mettre fin à cette mascarade : « La situation économique n’est pas réjouissante, alors ne mettons pas de frein aux petites entreprises» (dixit le ministère de l’intérieur).
Comme disait un jour un inspecteur des installations classées : « une vie humaine n’a pas de prix »